Lancé en mai 2017 par Olivia, Gabrielle et Marie, le concept store The Matter ambitionne de devenir la plateforme européenne de référence en matière de mode éco-responsable. En multipliant ses activités – événementiel, consulting, production de contenus photo et vidéo, journée de formation – The Matter concilie aura créative, expression artistique et engagements sociétaux. Fred est parti à la rencontre du tiers de ce trio en rencontrant Marie Wittmann. Interview 100% naturelle et respectueuse de la planète.
Actuellement on parle beaucoup dans le milieu de la mode de la « slow fashion ». Rassure moi, la mode éco-responsable ce n’est pas juste porter un poncho amérindien et des chaussettes en chanvre ?
La mode éco-responsable a longtemps souffert de ce cliché. Pour le grand public, ce sont forcément des produits hippies et baba cool. Chez The Matter, nous tentons de dépoussiérer cette image. Sur notre site, nous essayons d’attirer d’abord par le style et pas par l’argument éco-responsable, celui-ci vient après. La mode restera toujours un achat de plaisir, un achat d’affirmation de sa personnalité. Il faut donc faire de la pédagogie autour de l’éco-responsabilité mais surtout pas du militantisme sinon on restreint rapidement sa cible. Nous sommes évidemment fières de commercialiser des produits éco-responsables, mais ce n’est pas l’argument principal de nos vêtements. Le plus important, c’est le style. C’est notre critère premier. Notre but est de faire rentrer dans les têtes que : « oui, c’est possible d’être stylé tout en consommant des vêtements éco-responsables. »

Enflammons nous quelques instants avec ma figure de style favorite : la gradation. Donc The Matter, c’est un peu le Naturalia du vêtements, le Label Rouge des accessoires, l’appellation d’origine contrôlée de la chaussure ?
Évidemment, il est possible de faire une analogie avec le succès et le développement du « bio » dans le secteur alimentaire. Notamment sur les modes de productions plus soucieux de l’environnement. Par exemple, faire plus attention à la quantité d’eau utilisée et aussi bannir tant que possible les produits chimiques. Selon la Banque mondiale, l’industrie textile est responsable à elle seule de 20% de la pollution d’eau dans le monde ! Il faut également faire attention aux choix de ses matières, se focaliser sur de la laine ou du cachemire car ce sont des tissus qui ne nécessitent par que l’on tue l’animal. La mode éco-responsable fait également beaucoup d’upcycling.
Peux-tu m’expliquer ce qu’est l’upcycling ?
Allez c’est ma minute « culture confiture ».
C’est un terme anglo-saxon popularisé en 2002 par l’architecte William McDonough et le chimiste Michael Braungart dans leur ouvrage « Cradle to Cradle: Remaking the Way We Make Things ». Cela consiste à utiliser des objets et des matériaux destinés à être jetés pour les réintroduire dans la chaîne de consommation, après leur avoir redonné une valeur et une utilisation différente. Ce n’est pas propre au textile, l’upcycling existe aussi beaucoup dans le domaine de la décoration. Dans une production textile éco-responsable, ce « surcyclage » donne une seconde vie aux vêtements et tissus usagés afin d’éviter le gaspillage. On réutilise un cuir, on récupère des invendus de tissus, des chutes de rideau, du linge de maison… On fait marcher sa créativité mais toujours avec style.
Pour continuer sur ta lancée, on dit souvent de la mode éco-responsable, qu’elle est éthique et équitable. C’est quoi la différence ?
C’est un aspect très important dans la démarche « slow fashion ». Une mode éthique vise à améliorer toutes les composantes de la chaîne de production. Comme je l’ai dit plus haut le respect de l’environnement, mais également des employés et de la situation sociale de ses fournisseurs. La mode équitable est une branche de la mode éthique. Cependant elle va surtout se focaliser sur les rapports commerciaux afin éviter une marginalisation de certains acteurs du secteur. Cela passe par une juste rémunération des travailleurs, le respect des Droits de l’Homme, l’interdiction du travail des enfants…
J’ai l’impression qu’en France, l’offre n’évolue pas aussi rapidement que la demande autour de ce type de mode. Pourquoi la mode éco-responsable n’est pas encore devenu un réflexe de la part des grands acteurs du secteur ?
La France a effectivement un wagon de retard par rapport aux pays d’Europe du Nord, à l’Allemagne, à l’Angleterre ou encore aux Etat-Unis et à l’Australie. Voici mon point de vue, je pense que c’est plus compliqué culturellement dans notre pays. La France a un rapport très intellectualisé au beau, à l’art et à la mode. Paris est la capitale de la haute-couture, la plupart des plus grands designers de mode étaient français… Il existe tout un patrimoine sacré autour de cette industrie qui entraîne un effet pervers, un certain protectionnisme. Avec la gastronomie, nous avons vécus exactement le même processus. Cela fait plus de vingt ans que dans les pays scandinaves, on boit des smoothies et on mange dans des food trucks. Il existe une plus grande difficulté pour la mode éco-responsable d’imprégner un pays comme la France.
Comment faire pour que la greffe prenne plus rapidement en France ?
Il faut s’inspirer du secteur alimentaire et du développement du bio. Il y a 10 ans, les magasins bio étaient en périphérie des villes, les étalages ne donnaient pas envie et encore moins les packagings. Regarde aujourd’hui ! Le secteur a réalisé un gros effort de communication, ils ont travaillé sur l’intérieur des magasins pour repenser le parcours client… Ils ont fait du marketing, un joli enrobage pour sortir des idées reçues. Il faut faire pareil pour la mode.
C’est pour cette raison qu’avec Olivia et Gabrielle, vous avez lancé The Matter ?
En partie, car notre activité ne résume pas simplement à un concept store éco-responsable. Nous avons aussi toute une activité événementielle par le biais de pop-up store à fortes thématiques.
Pour éclairer le consommateur autour de la « slow fashion », il ne suffit pas juste qu’il achète, il faut aussi qu’il rencontre les créateurs afin d’échanger avec eux. The Matter, ce n’est pas une simple « marketplace » ou une vitrine, c’est également un laboratoire d’idées et d’expériences autour de la mode éco-responsable.
Nous organisons aussi des collaborations artistiques par le biais de production de contenus photo et vidéo. Par exemple pour nos photos internes, nous produisons des shootings thématiques à travers l’Europe, en Islande, en Suède ou encore Suisse.

Enfin, nous développons en ce moment une nouvelle branche dans notre activité : de la formation auprès des jeunes créateurs et du consulting auprès des grandes marques de mode. À travers notre prochain événement, « The Big Blue Project », nous voulons donner des pistes sur la manière de se lancer sur le secteur, la façon de modifier son circuit de production… Il existe un manque flagrant d’informations autour de ces thèmes.
Durant cette événement, « The Big Blue Project », vous allez donc transmettre votre expérience et votre savoir-faire. Tu peux m’en parler un peu plus ?
Du 10 au 12 avril prochain à la galerie Joseph à Paris, nous proposons trois jours de formations pour les professionnels et les étudiants. L’idée est de donner des clefs de compréhensions, à des marques déjà existantes ou à des projets en devenir, afin d’intégrer plus d’éco-responsabilité dans leurs démarches et leurs fonctionnements. Il y aura en tout plus de 30 experts qui animeront des conférences, avec notamment une intervention de l’économiste et écrivain Jacques Attali. Ce ne sera pas un énième événement autour de la mode durable durant lequel on parle, on parle… cela rentre par une oreille et ressort par l’autre. « The Big Blue Project » est un projet sur le long terme qui s’articule autour de la formation, de la sensibilisation et la responsabilisation de tous autour d’une cause environnementale forte, ici l’océan. Nous organisons d’ailleurs cet événement avec une connaissance de Fred, l’Atelier Meraki.
Exact, nous avons récemment interviewé Shérif Sy le cofondateur de l’atelier Meraki. Il a d’ailleurs une vision très humaniste de l’entrepreneuriat. Quelle est la tienne ?
Être entrepreneur cela ne s’invente pas, je pense qu’il existe des profils, tout comme certains sont doués pour le sport ou d’autres ont des aptitudes pour la musique. Il faut avant tout une très grande envie d’aller au bout, cela prend tellement d’énergie. Il faut que ton projet ait du sens dans l’ensemble de ta vie et de tes interactions sociales et amicales. Il faut savoir se lancer et expérimenter des aventures entrepreneuriales dès son plus jeune âge, lors de nos études, de nos stages.
Les idées sont dans l’air. Tu as pensé que ce concept allait révolutionner ton secteur ? Trois ou quatre personnes dans le monde au même moment doivent avoir la même idée que toi.
J’ai une idée, mais très rapidement il faut la déposer, acheter un nom de domaine, en deux clics on peut de nos jours rapidement se protéger. Il n’existe pas vraiment de chronologie ou d’étapes qui se suivent. Un entrepreneur doit savoir tout faire en même temps. Ce n’est pas l’idée ou le concept trouvé qui définit l’entrepreneur au final, c’est son passage à l’acte.
Vous avez vos bureaux à la Station F, le plus grand incubateur de start-up au monde… Est-ce que tes collègues co-workers sont des exosquelettes ?
Pas encore, mais je peux comprendre le fantasme technologique que suscite la Station F. En réalité, il y a de tout, vu que nous pratiquons le « flex office », tu peux te retrouver le lundi à côté d’une start-up qui livre du Muesli et le mardi tu partages ton bureau avec des personnes qui recyclent du matériel d’usines désaffectées. Ce que je veux dire, c’est que la Station F, c’est avant tout un levier de rencontres formidables. Il existe une telle diversité des projets que ce lieu est d’une richesse incroyable. Tout le monde est là pour échanger et créer des ponts entre les activités.
Si tu avais un conseil à donner aux jeunes entrepreneurs, ce serait lequel ?
Apprendre à avoir mal à l’égo. Se tromper, trébucher, perdre… Il faut aussi passer par ces étapes pour devenir un bon entrepreneur. Et aussi faire des belles rencontres.
Terminons alors sur un moment « amour, gloire et amitié ». Si tu dois me citer deux personnes qui vous aide professionnellement, qui remportent la palme ?
C’est compliqué de choisir. Je dirais Thomas Fournier qui est un designer et graphiste qui a un talent incroyable, il travaille bien, vite et on peut compter sur lui. Et je citerais aussi Kevin Cassier, cofondateur du studio de développement de sites Internet By Us. Il nous a beaucoup aidé pour The Matter. Un site e-commerce cela demande beaucoup de temps et d’argent et au final il nous a donné beaucoup du premier et demandé peu du second.